La taille, ça compte ?
J'ai eu un bel échange sur le réseau de Zuckerberg, ce qui est assez rare pour être notifié dans cette belle communauté.
Le débat portait sur une somptueuse Cartier Santos Dumont référence 9605, un modèle entièrement en or. C'était tout à fait à mon goût, pour être honnête. Cependant, malgré sa beauté, cette montre avait un inconvénient que son propriétaire n'arrivait pas à surmonter : sa taille. La question posée par le propriétaire était la suivante : "Comment savoir si une montre est à notre taille ?"
Ah, bonne question !
Dans cet univers de la collection de montres, tout est subjectif. Ici, je ne vais pas calculer la taille idéale en fonction de votre âge, taille, poids et signe astrologique. Je dirais même que dans 95 % des cas, ces discussions sont stériles. Mais cette fois-ci, quelque chose d'intéressant en est ressorti.
L’approche systémique
Dans les 95 % des cas mentionnés précédemment, toute la conversation porte uniquement sur une supposée féminité des petites montres. En gros, quand on est un homme avec un poignet d'homme, on porte des montres d'homme. La montre est vue comme preuve de virilité plutôt que comme un accessoire de mode.
Je trouve complètement réducteur de voir le monde uniquement à travers le prisme de deux tailles destinées à deux genres différents. Cela limite tellement les possibilités. Mais surtout, cela nous ferme les portes des plus grands trésors de l'horlogerie vintage. Et si vous pensez que les hommes sont mieux avec de grosses montres de "gars", expliquez-moi pourquoi ces mêmes hommes se sont amusés à créer des montres "petites" jusqu'aux années 2000.
Pour moi, la question du genre liée à la taille de la montre n'est qu'une mode. Nous observons déjà un retour en arrière de la part des marques depuis quelques années. Elles reviennent progressivement à des diamètres un peu plus universels. Un tas de nouveaux exemples de ce phénomène ont eu lieu lors du Watch & Wonder cette année (2024), avec Tudor en tête grâce à la nouvelle déclinaison de la GMT en 38mm.
La nouvelle Chronomaster de chez Zenith est un bon exemple de retropédalage des marques. Un chrono de 38mm avec triple calendrier et une phase de lune. Compact.
Ce que je veux dire par là, c'est que la montre, en tant qu'outil de distinction sociale, dépend davantage de la matière, de la marque et de sa capacité à être reconnue. En résumé, on s'intéresse davantage à ce que raconte une montre sur le plan social qu'au genre qu'elle suppose. Une Rolex de 36 mm ou de 41 mm reste une Rolex. Certains vous verront comme le bourgeois du coin, d'autres comme un bling-bling ou encore comme un connaisseur. Les non-initiés choisiront le diamètre le plus grand possible pour montrer leur réussite au poignet, non pas pour prouver leur appartenance à un genre.
L’impact du design
Pour en revenir à ma conversation originale, il s'avère que la personne ayant posté la question de base m'a expliqué ce qui le gênait. J'étais parti du principe qu'il pensait simplement que cela semblait efféminé. Mais non, il argumente :
“j'ai du mal avec la taille de la lunette qui est très petite. Autant le cadre global c'est parfait je trouve. Comme vous je ne porte rien au dessus de 35mm […] Ce n'est pas la taille du boîtier [le problème], j'en ai même des plus petite, mais pas avec ce rendu.”
Ce qu'il entend par "taille de la lunette" est en fait l'ouverture du cadran par rapport au reste du boîtier. En gros, le cadran semblerait perdu sur la montre, ce qui donne cette impression de taille trop petite.
C’est pourquoi cet échange m’a plu. Pour une fois, j’ai une vraie raison derrière, et une esquisse de réponse à sa propre question quelque part.
Au final, ce que nous dit ce passionné, c’est que la taille de la montre est correcte. C’est l’équilibre de l'ensemble qu'il remet en question. Je trouve cette réflexion saine. Si on pouvait revenir à ce niveau de conversation pour tout dans cette communauté, je pense qu’on avancerait plus vite. Au fond, ce qu'on apprécie dans ces objets, c'est cela. C'est leur apparence au poignet. La taille compte dans ces considérations.
C’est pourquoi je pense que les marques se sont égarées à un moment donné entre la fin des années 90 et la fin des années 2010. Parce que les grosses montres se vendaient mieux, beaucoup d'entre elles ont sacrifié le design au profit du …profit.
La Cartier Santos est un exemple parfait. Le réflexe immédiat pour vendre le modèle de nos jours a été de le faire grossir autant que possible. La modernisation des références iconiques passe presque toujours par là. Je pense que c’est là que le bât blesse. Le simple fait de "grossir" un design qui a 50 ans sera forcément un échec à long terme.
Sauras-tu reconnaitre le dessin original de la ré-édition ?
Pour moi, le succès de ces pièces à l’origine résidait dans leur design. Et ce design réside souvent dans l'équilibre global des éléments qui le composent.
Prenez Panerai ou Breitling (plutôt Navitimer), ce sont des grosses montres depuis le début. Leur fonction, leur design, tout a été pensé pour cette taille. Et ça fonctionne. On aime ou on n'aime pas, mais ça fonctionne. La Datejust, en revanche, donne l'impression qu’on a essayé de la gonfler avec du silicone.
Deux montres de 1952. L’Omega fait 34mm et la Breitling 40mm. Gigantesque pour l’époque, le but étant la lisibilité.
Je pense qu’on aurait vraiment gagné à avoir des montres avec de nouveaux designs adaptés à leur époque plutôt qu’à essayer de faire rentrer l’époque au pied de biche dans le dessin original. Étrangement, seules les maisons de haute horlogerie, habituées à créer des montres qui durent, ne se sont jamais abaissées à ce jeu-là. Quelqu'un peut-il me montrer une Nautilus en 47 mm?
Mais alors, comment savoir si une montre est à notre taille ?
Je pense qu'il n'y aura jamais de montre à votre taille. Ou plutôt, votre amour pour une montre ne sera jamais une question de taille. Au final, c’est l’essai qui est décisif. La taille ressentie au poignet par rapport à celle annoncée peut créer un monde de différence. Évidemment, à l’ère des achats en ligne, il est difficile de ne pas se fixer certains critères. Mais quand vous le pouvez, privilégiez l'achat et l'essai en personne. Qui n'a jamais eu une Speedmaster au poignet en se disant qu'elle ne faisait pas ses 42 mm ? L'épaisseur est également un facteur primordial dans le ressenti au poignet. Une Royal Oak en 35 mm et une Breitling Top Time en 38 mm auront une présence similaire au poignet, étonnamment. Pour ceux qui ont déjà eu une Rolex Bubbleback en 34 mm comparée à une Tudor Prince Date en 34 mm entre les mains, la différence est flagrante même si les dimensions sont similaires.
Ne vous fiez pas à la taille annoncée. Et surtout, portez ce que vous voulez tant que cela vous plaît !