Collection de montre, mode d’emploi

Collection: nom féminin : Réunion d'objets (notamment d'objets précieux, intéressants).

Récemment, je pense traverser la même crise que tous mes collègues collectionneurs et collectionneuses. Je change complètement de direction.

Je considère l’art de collectionner comme un art à part entière. Néanmoins, comme tout art qui se respecte, celui-ci possède une direction artistique, une impulsion, un sens, et donc un directeur artistique. Nous. Toi. Moi. Surtout moi.

Et comme tout directeur artistique est bien humain, il n’échappe pas aux règles sociologiques de base, comme les biais.

Nous passons à peu près tous par les mêmes étapes, mais via des chemins différents. Nous tendons tous à rejoindre la même destination, prenant simplement plus ou moins de temps pour y parvenir.

Un conservateur de musée est souvent expert dans un domaine pour pouvoir rassembler une collection qui a du sens. Nous faisons l’inverse : nous commençons par créer notre collection et changeons de trajectoire au fur et à mesure.

Ces changements sont dus à l’approfondissement de nos connaissances et à l’affinement de nos goûts. Nous suivons donc une courbe d’apprentissage similaire et commune entre collectionneurs et collectionneuses. C’est là que l’effet Dunning-Kruger semble nous rattraper.

L’effet Downing-Kruger, simplement posé, est l’impression de savoir. C’est à dire, moins on sait, plus on est persuadé de savoir.

En effet, si on applique ce précepte à la vie d’un collectionneur ou d’une collectionneuse, vous allez vite comprendre ce que j’essaie de vous faire voir.

Tout commence par une montre. Un cadeau, qu’il vienne d’un proche ou de soi-même, peu importe. Peut-être un simple modèle à quartz, ou peut-être que c’est ce pote un peu bizarre qui vous a offert votre première montre mécanique en vous disant : “N’oublie pas de la remonter chaque jour !”. Pour moi, ce fut un cadeau pour mes 18 ans : une Longines Conquest Chrono. Avec un bon vieux ETA 7750 des familles à l’intérieur. Privilège de grandir dans une famille de commerçants dans l’horlogerie et la bijouterie.

Un jour, l’ennui ou la curiosité nous prend, et nous pousse sur Internet, où l’on découvre une histoire, une technique, un savoir-faire, une spécialité.

Et là, c’est le trou noir. Vous vous réveillez un matin avec 35 montres.

Les étapes communes

Comme je l’écrivais plus haut, c’est souvent une montre qui nous amène à cette curieuse passion coûteuse. Une sorte de faille spatio-temporelle qui nous propulse dans un monde particulier.

Mettons-nous d’accord sur ces étapes communes : hormis le départ, c’est souvent l’apprentissage technique qui nous donne envie d’acquérir une automatique. Trois options : Seiko, Tissot ou Orient. À ce stade, il ne s’agit même pas encore d’une question de moyens. C’est une autre barrière psychologique qui nous retient. Nous n’avons pas de notion des prix. Dépenser plus de 1000 euros pour un objet qui ne faisait pas partie de notre vocabulaire il y a encore trois semaines semble absurde. Même quand on gagne bien sa vie. Et heureusement! Imaginez acheter une Hublot en première montre. Le regret arriverait vite. On n’est pas prêt à investir 5-6000 balles pour un nom, sans comprendre d’où vient le prix.

Étape 2 : laissez mijoter un moment et hop ! Vous achetez votre première vintage. Forcément, vous avez fait vos devoirs. Vous avez lu sur les mouvements, les techniques, et les grandes maisons qui ont fait avancer l’horlogerie. Vous voilà sur le marché pour une Omega Seamaster, voire même tenté par un modèle plaqué. Alors qu’il y a encore quelques mois, cela vous aurait horripilé.

Maintenant que vous avez bien mis les pieds dans le vintage, vous en apprenez plus sur l’histoire des marques et de l’horlogerie. Vous en comprenez maintenant l’importance sociétale et commencez à maîtriser les codes. Vous lisez à propos de Steve McQueen et vous voilà fan d’Heuer. D’ailleurs, vous avez même compris ce que TAG veut dire. Vous le répétez fièrement à vos amis moldus ou à votre partenaire qui n’avait pas signé(e) pour ça. “Tu savais toi que ça voulait dire Technique d’Avant-Garde ? Hein ?”.

James Bond sort de la télé et entre dans votre vie d’une nouvelle manière. Vous commencez à rêver d’avoir toutes les montres des films. Spoiler alert si vous en êtes à cette étape : vous n’achèterez que les Seikos.

C’est la première fois qu’une Rolex vous fait de l’œil. La Daytona de Paul Newman, la 5513 de James Bond, peu importe. Mais bon, celles-là oui, mais Rolex en général c’est non !

Je sais pas ce qu'il porte sur cette photo mais on s'en fou.

C’est l’étape A.R.A.B. – All Rolex Are Bad. On est prêt à mettre un peu plus de budget, mais ça commence à faire beaucoup d’argent. Comment justifier un tel coût pour une montre en acier, trois aiguilles ? Et puis, niveau finition, “Grand Seiko, c’est mieux”. On va quand même juste acheter un nom ! En plus, il y a la fameuse phrase de l’affreux Séguéla : 'Si tu n’as pas ta Rolex à 50 ans…'"

Une chose est sûre : maintenant, c’est grandes maisons uniquement. Fini les Orients, les montres Kickstarter et les Ingersoll. Néanmoins, des marques, oui mais que des marques d’horlogerie, hein ! Pas des trucs comme Cartier, Chanel ou Hermès ! Avec des mouvements mécaniques. Un point c’est tout.

C’est, à mon avis, là que nous atteignons le sommet de “la montagne de l’ignorance” (cf. courbe de Downing-Kruger).

Là, ça devient plus technique.

Les années passent et vous avez enfin réussi à comprendre que ce n’est pas Rolex le problème. C’est une certaine clientèle, non passionnée, qui dénature la marque à la couronne. Mais en même temps, elle est victime de son savoir-faire et de ses prix abordables (dans un rapport qualité/prix en retail). Les mêmes arguments qui vous animent également en tant que passionnés.

Vous êtes en harmonie avec votre monde. Enfin libéré de ce poids qui vous maintenait séparé de vos semblables.

Mais aimer Rolex, c’est bien beau, encore faut-il passer un cap injuste : les moyens.

Je pense qu’à partir de là, une bifurcation qui n’a rien à voir avec la passion s’opère. Le cap de l’achat d’une Rolex acier est soit le dernier échelon d’une grande échelle qui coûte cher, soit le premier échelon d’un monde plus vaste. Dans d’autres cas, qu’il faut aussi comprendre, c’est un plafond de verre.

Pour résumer, jusque-là, nous, les curateurs, étions influencés par deux choses : l’argent comme barrière psychologique et les connaissances.

Les connaissances peuvent continuer à grandir, mais l’argent, lui, devient problématique car il dépasse à présent son statut de barrière psychologique pour devenir une barrière tout court.

La beauté de la chose, c’est que nous avons quitté depuis longtemps la “vallée de l’humilité” (cf. effet Downing-Kruger) à ce stade. Et qu’on a souvent compris que la montre parfaite, c’était celle qu’on aimait. Pas celle qui met tout le monde d’accord. Nous nous voyons donc plonger dans un monde où nous reconnaissons désormais la distinction, l’histoire et le raffinement de la Haute Horlogerie, et où nous comprenons un peu mieux les prix pratiqués (sauf abus) par des maisons comme Audemars Piguet ou Patek Philippe.

La césure n’est plus que pécuniaire. Soit on peut se permettre de dépasser les 10’000.- dans une montre, soit cela nous semble stupide, car trop disproportionné par rapport à notre capacité financière, soit ce n’est simplement pas possible.

L’avantage, c’est qu’on est en paix avec les autres. Qu’on puisse devenir propriétaire ou non, on aime les mêmes choses.

Il y a peut-être des phases après cela, mais pour le moment, je n’y suis pas encore et je n’ai pas encore rencontré quelqu’un qui serait dans un autre schéma.

Revenons à nos moutons.

Voilà donc ce que j’ai pu observer jusqu’à maintenant autour de moi concernant la collection de montres.

Mais maintenant, mon souci, c’est que je suis quelque part dans un moment où “je regrette” certains choix. J’ai eu une grande phase où la condition n’était jamais un problème. Le prix déterminait l’affaire. J’ai eu aussi des achats impulsifs qui, aujourd’hui, me font dire que j’aurais préféré mettre mon argent ailleurs.

Mais surtout, j’en ai trop. J’ai confondu collectionner et accumuler.

Bien que j’admette quelques regrets, je n’oublie pas que pendant longtemps, celles que j’appelle “regrets” aujourd’hui, je les appelais “préférées” hier.

Jolie erreur de parcours

C’est juste qu’aujourd’hui, je me retrouve devant trop de montres que je n’ai plus plaisir à porter. Et ça, c’est tout ce que je m’étais promis de ne pas faire.

Je suis devenu plus pointu dans mes choix, mes goûts sont plus niche. Et maintenant que j’ai goûté aux montres dans des états proches du neuf ou au contraire bien patinées, j’ai du mal à revenir en arrière. Malheureusement, beaucoup de mes tocantes n’entrent pas dans ces catégories-là.

Voilà ma crise : j’ai envie de tout reprendre à zéro.

C’est à toi que je parle.

Si tu es arrivé jusqu’ici, déjà merci. Ensuite, je suis persuadé que tu te dis soit que j’ai à peu près raison, soit que je suis complètement à côté de la plaque et que jamais tu n’achèteras ni ne cautionneras Rolex. Vous, vous pouvez en rester là si vous le souhaitez.

Mais si tu es sur le point d’acheter ta première montre et que tu hésites entre une PRX, une vieille Omega et une MoonSwatch. La suite va t’intéresser.

Si tu veux gagner du temps :

  1. Rolex, c’est sublime. Va plus loin que les 5513, les sportives en 40 mm et les Datejust d’aujourd’hui. Tu verras.

  2. Le diamètre, ce n’est pas important. Ta tolérance va évoluer. 36 mm reste la taille la plus élégante qui va à tous les poignets. (voir l’article)

  3. Ce ne sont pas les montres qui font la hype d’aujourd’hui que tu regretteras, mais les achats coup de tête pas chers dans un état moyen et trop proche de ce que tu aurais vraiment voulu. Les gens avec des Bulova Seville, on vous voit.

  4. Il y a patine et patine. Trois fois sur quatre, la montre est flinguée, pas patinée

  5. Ne transige pas. Si tu aimes une Cartier Santos, achète-en une. N’achète pas un modèle qui y ressemble ou une montre en mauvais état simplement parce que le prix correspond à ce que tu peux te permettre aujourd’hui. Attends 2 ou 3 ans. Tu as le temps. Tu pourras en profiter pleinement plutôt que de regretter un compromis que tu finiras par laisser au fond d’un tiroir.

Le dernier point est le plus important pour moi. J’aurais voulu qu’on me l’explique plus tôt.

C'était ça dont j'avais besoin depuis le début en fait

J’ai une Speedmaster que je ne mets quasiment plus car elle est bizarre (pièces changées, bracelet et fond qui ne matchent pas, années 90 pas très sexy), je ne la vendrai jamais et elle a un poids sentimental énorme, mais je ne la porte plus trop.

J’ai une Rolex Bubble Back ref. 2764. Je m’étais persuadé de prendre celle-là, pas trop chère, pour voir si j’aimais, et ensuite acheter une 3131. Mais en fait, je ne la mets pas parce qu’elle est fragile (années 30-40), et en plus, ce n’est pas celle que je voulais. Je voulais une 3131, j’aurais dû acheter une 3131.

Pour le moins très jolie !

Ma Polerouter, c’est pareil. Je voulais un modèle Microtor cadran noir, j’ai acheté un bumper cadran gris. Le pire, c’est que des années après, pour mon meilleur ami (en mission pour sa compagne de l’époque), j’ai trouvé et acquis une version plaquée or rose cadran noir Microtor sublime, moins chère que la mienne !

Rédemption

Aujourd’hui, j’ai changé mon fusil d’épaule. Je ne fais plus de compromis. J’attends patiemment pour non seulement acheter la montre que je veux, mais aussi dans l’état et la configuration que je veux. Et tout ça, pas à n’importe quel prix.

Attention, ça n’exclut pas la petite sortie de parcours de temps en temps. J’ai une Benrus en or rose 14k qui peut témoigner. Mais cette fois-ci, ce n’est pas n’importe quoi. C’est une montre en or, avec un cadran saumon, un style art déco que j’affectionne, achetée à un pro pendant mes vacances, révisée, dans un état plus que correct. On est loin de la trouvaille en chrome chez l’antiquaire ou le stand de brocante à 15 balles qui prend la rouille.

J’essaie maintenant vraiment de m’imposer une sorte de rigueur que j’aurais vraiment voulu avoir plus tôt dans mon parcours.

J’espère que ce moment passé dans ma tête pourra vous faire gagner un peu de temps. Vous faire sauter quelques étapes ou alors les reconnaître pour mieux en éviter les pièges. Avec pour objectif que vous ayez le moins possible de regrets dans votre collection.

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