FAKE & LEAVE

Oui, j’avoue avoir choisi un nom un peu putaclic pour celui-là. Mais si ça vous a attiré jusqu’ici, c’est déjà ça.

Pour continuer un peu sur le rapport d’expérience et le constat que nous avons commencé dans le premier article, je vous propose de mettre en lumière une pratique fort courante qui a fini par devenir le quotidien des personnes souhaitant vendre des montres sur internet. Et si vous n’aviez pas remarqué ce phénomène jusqu’à présent, maintenant vous ne verrez plus que ça.

Imaginez un peu : Vous êtes chez vous, quand il vous prend l’envie de vendre une montre. Vous sortez votre iPhone, vous vous mettez contre une fenêtre et commencez à mitrailler la belle sous toutes ses coutures pour être le plus exhaustif possible pour vos potentiel·le·s acheteur·euse·s. Pour vous, c’est déjà gagné. Après tout, qui ne voudrait pas de cette montre qui est (ou a été) si belle à votre poignet ?

Vous vous fendez de votre plus beau texte accompagnateur, vous organisez la publication de manière ordonnée et lisible. Vous ajoutez un peu d’humour (“vends cause femme mécontente lol”). Vous cliquez sur “publier”, un “admin” valide votre annonce 35 minutes plus tard, votre annonce est enfin “live”, vivante. Les premières notifications arrivent : “Jean-Pierre LoveRolex a aimé votre publication sur le groupe “vendre sa montre mais pas son âme”. Bon, c’est un début.

4-5 “like” plus tard, ça y est, un premier commentaire. La messe est dite, cette montre est vendue. Vous ouvrez Facebook et là, vous lisez : “fake” en dessous de la publication de vente que vous avez passé une heure à préparer.

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Plus jamais vous ne reverrez cet expert horloger. Seul reste le doute, et votre montre que vous ne vendrez pas. Vous le taguez pour qu’il réponde. C’est trop tard. Le mal est fait. L’admin vous contacte et dit : “j’ai supprimé l’annonce rien contre toi mais juste s’il y a un doute, il n’y a pas de doute.”

Alors certes, ça sent le vécu bien amer. Et ça l’est. À plusieurs reprises. Pas que sur de la vente d’ailleurs.

Pour moi cette pratique représente tout ce qui ne va pas sur internet à ce jour. L’anonymat et/ou l’impression de sécurité qu’internet procure a/ont rendu tout un tas d’actions brise-gonades (vous irez chercher, mais je pense que vous avez compris) tout à fait normales. Et ça, à mon sens ça ne va pas. 

Le fait est que, de manière générale, les gens s’expriment davantage sur tout et rien. Nous nous retrouvons alors avec des pneumologues-epidiomologistes certifié·e·s Facebook mais donc aussi avec des expert·e·s en horlogerie digne des plus grandes salles de ventes. Le souci c’est que ces grand·e·s gourous de l’horlogerie se contentent souvent de lâcher un « fake » et ne jamais revenir donner l’explication de leur acte.

À un moment donné, on a accepté que ces pratiques deviennent banales et nous sommes revenus en force avec le dicton : « S’il y a un doute, il n’y a pas de doute » citation incomplète tirée du film Ronin de John Frankenheimer avec Robert de Niro et Jean Reno.

Mais du coup par la même occasion on a appris à faire confiance à un mec qui passe, écrit 4 lettres, et repart comme il est venu. Imaginez une seconde ce comportement dans la rue : vous discutez avec votre amie Camille de la nouvelle paire de chaussures que vous avez acheté, ultra rare, une paire de Yeezy 1. Vous paradez un peu, vous tournez les pieds pour que Camille puisse jouir de tous les détails de cette paire de chaussure à 3500€. Sorti de nul par, arrive un homme, chauve, bossu, un sourire narquois, nappé d’un grand manteau noir à capuche qui lui tombe légèrement sur les yeux, au poignet ? Une grosse Invicta I-Force 1517, ses chaussures ? Il n’en a pas, d’ailleurs il n’a pas de pied, il flotte dans les airs. Il arrive derrière vous et lâche : « Fake » puis poursuis son chemin en bas de la rue.

Camille est outrée, elle doute, vous vous expliquez : « non mais je les ai achetées sur un site super sérieux… Je suis allé dans une boutique Nike les faire authentifier…Tu vois j’ai la facture…Regarde il a des bonnes review le mec qui me la vendu… »

Mais c’est fini, Camille doute, vous l’avez trompée. Le mal est fait. Vous resterez à jamais le looser qui a menti à son amie à propos de chaussures. La tourmente s’abat sur vous, votre confiance est brisée, vous vous mettez à rejoindre des sites obscurs de complotistes, mettez des manteaux longs, vivez dans le noir…

J’exagère ? Vous trouvez ? Moi c’est comme ça que je m’imagine tout ça dans ma tête.

Évidemment je ne dis pas que tout le monde fait ça. Nuançons.

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Le vrai problème, c’est que dans ce monde où n’importe qui peut donner son avis sans s’encombrer des responsabilités qui incombe sa prise de parole, on finit dans des situations impossibles à devoir tout justifier. Mais surtout on perd, selon moi, de vue la substance de toutes passions : le désir. 

Je m’explique. Mis à part les situations de contrefaçons nettes et précises, on juge des objets à partir de photos de plus ou moins bonne qualité, par rapport à son prix annoncé, de la photo de profil du type et à sa façon d’écrire. Quand on est sur des montres récentes et bien documentées, pas de souci. Mais quand on commence à s’attaquer à des mamies de 50-60-80 ans, c’est plus la même du tout.

Hormis ça, un autre phénomène se greffe à ce dernier. Au final la question principale c’est qu’est-ce qu’on présente ? Si je mets en vente une montre que j’ai achetée parce qu’elle me plaisait, suis-je responsable de tout savoir sur la montre ?

L’exemple le plus flagrant est sur ma Tudor ranger. Je l’ai acheté à une connaissance, horloger de métier, puis je l’ai revendu parce que j’avais besoin d’argent. Je la revendais 1400€. Un prix motivé par le prix d’achat et pas autre chose. Mon but est la collection et l’échange entre passionné, pas devenir multi milliardaire.

Ranger rouge

C’est une Ranger rouge. Alors je n’ai jamais réussi à aller au bout de l’explication de savoir si ça existe ou pas, si c’est repeint ou je ne sais quoi, moi tout ce que je voyais c’est qu’elle était méchamment cool. 

On m’a dit tout et n’importe quoi : c’est une fausse, ça n’existe pas, si ça existe, des gens publiait des photos de leurs montres identiques à la mienne, etc. Bref un capharnaüm tel que je me suis vu obligé de retirer l’annonce sous prétexte que « quand il y a un doute, il n’y a pas de doute ».

Personne n’était capable de me donner une seule source fiable. Le seul vraie argument qu’ils avançaient c’était que si c’était “une vraie”, je la vendrais beaucoup plus cher. J’ai halluciné. On me reprochait de ne pas vendre assez cher.

Bref, je ne rentrerais pas dans le débat 1200 fois, j’ai beau chercher je ne trouve rien sur les ranger rouges d’officiel. Il paraît que Rolex les reprend en SAV selon certains, d’autres disent qu’il n’y a jamais eu de modèles Ranger avec la rose, alors qu’elle est présentée avec la rose sur l’application officielle de Tudor mais le ranger n’est pas rouge, etc.

Tout ce que je voyais moi, c’était que je vendais une montre avec une gueule folle, une vraie alternative dix fois moins cher qu’une Explorer 1016 de chez Rolex. 

Si j’avais essayé de l’enfilé à 5000€ en hurlant que c’est une 7995/0 100% legit’ méga rare avec le rouge, j’aurais compris qu’on s’en prenne à moi. Mais là, moi, je n’ai menti à personne. J’ai vendu une montre que je pensais jolie, voilà tout.

Et encore une fois, il y a une façon de faire les choses. Si on était venu me dire que ces modèles faisaient débat, j’aurais alors pris le temps de voir un peu ce que je trouvais sur le net pour comprendre mieux, demandé même à Rolex ou Tudor à la limite ou encore j’aurais pu exprimer mes intentions de vendre la montre pour le look et le style et que je ne rentrerais pas dans le débat. Bref, j’aurais eu des options.

Mais non, entre les « Fake and leave » (je vais déposer un brevet), les musées ambulants dictateurs et les puits de connaissances voyant une occasion de se faire mousser, je me suis retrouvé acculé, traité de menteur et de malhonnête. Ce que je suis, pas de mensonge entre nous, mais je ne les permets pas de me juger sur la base de 10 lignes sur Facebook. 

En vérité je ne savais juste pas. Pire que ça, je m’en foutais. La montre est cool même si elle est issue d’un assemblage…

Pour conclure, je dirais que d’un côté, je ne suis pas contre ce genre de pratique dans le sens où un organe régulateur est toujours une bonne nouvelle quand on parle d’objets de collection chère. C’est plus le manque de tact et donc la façon dont c’est fait qui me dérange. Aussi, cela me désole un peu qu’on en soit arrivé là dans une communauté normalement constituée de passionnés.

Quelques conseils si vous ne souhaitez pas faire ça :

  • Si la montre ne vous intéresse pas, ne commentez pas.

  • Si vous pensez que vous pouvez faire avancer le débat ou éviter une catastrophe, rappelez-vous que ce sont des êtres humains et que l’erreur est profondément humaine.

  • Rappelez-vous qu’il y a de grandes chances que vous vous trompiez aussi.

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